Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

02/06/2009

Pince-nez

Pendant des décennies, la génération qui m’a précédé nous a fait le coup du : on ne savait pas. Il s’agissait bien entendu du sort des Juifs durant la seconde guerre mondiale. Les gens ordinaires ne savaient pas, paraît-il, ce qui attendait les Juifs embarqués dans des trains pour l’Allemagne. Les Juifs eux-mêmes l’auraient, paraît-il, ignoré. Là-dessus, arrive ma génération, celle qui va faire 68, qui s’est assez rapidement montrée sceptique face aux aînés. La question qui nous taraudait était simple: qu’avez-vous fait pendant la guerre? Collaboré? Résisté? Notre motivation était tout à fait personnelle: étions-nous fils de héros ou fils de salauds? Il faut vous dire qu’au sortir de la guerre, le Général de Gaulle, lui-même héros de la résistance, n’a pas été très regardant avec la lâcheté de ses contemporains. Mieux, il les a absous au nom de la réconciliation nationale. Le passé avait passé. On ne la trouvait pas si simple, l’histoire, et un peu grosse, la ficelle. On a fouillé. Comme les fouille-merde qu’on était. Et ce qu’on a levé sentait le rance et le pourri. Héros, mes fesses. Tous résistants, mon oeil!.... Un tas de gens très quelconques qui ont surtout pensé à sauver leurs fesses en faisant souvent fi de la morale, de l’humanisme, des valeurs républicaines. C’est ce qui nous a valu très rapidement le très spécieux: et vous, qu’est-ce que vous auriez fait? Mais les questions, c’est nous qui les posions. De fil en aiguille, on en est arrivé assez vite à la remise en cause du dogme “on ne savait pas”. Les langues se sont déliées. Aujourd’hui on sait que, à partir de 1942, au maximum, tout le monde savait où menaient les voies ferrées nazies, y compris les Juifs eux-mêmes.

Le doute n’est aujourd’hui plus permis: ils savaient, ce qui ne les a pas empêché de dormir. La conclusion, imparable, c’est que nous sommes effectivement des enfants, des petits-enfants, de salauds. Un temps, nous avons été très contents de cette conclusion. Nous étions mieux que ceux qui nous ont précédés. Ils savaient, ils n’ont rien fait. Si, nous, nous avions su..... Manque de pot, la fin du vingtième siècle arrive. Avec elle les génocides du Rwanda, de Bosnie, du Congo, du Darfour, avec elle, les guerres d’Afghanistan et de  Tchétchénie, les massacres du Liban, de Gaza, le traitement des Roms et les politiques migratoires européennes, le sort indigne fait aux sans-papiers, l’absence de traitement du sida en Afrique; et beaucoup d’autres, hélas!.... Et nous, NOUS, cette fois, nous ne faisons rien. Nous savons et nous ne faisons absolument rien. Si nous avions su, disaient nos aînés. Si nous avions su, rien du tout. D’abord, vous saviez, ensuite, sachant, vous avez fait comme nous: vous avez fermé les yeux.  Nous ne valons finalement pas mieux, pas moins, que nos anciens. Nous sommes tous des salauds ordinaires. Le procès est terminé. Le verdict, ce n’est pas que nos aînés ont fait ce qu’ils pouvaient, qu’ils ont voulu vivre d’abord, qu’ils sont humains et, par là, faillibles. Le verdict, c’est bel et bien que nous sommes tous du même bois et que nous sentons tous, vieux, jeunes, avant, maintenant, le pourri et le rance. Peut-être aurons-nous, et je n’en suis pas certain, l’honnêteté de reconnaître, cette fois, lors du prochain procès générationnel, qui ne manquera évidemment pas d’arriver, d’avouer, que oui, nous savions. Ce serait au moins un peu plus digne que l’attitude de nos prédécesseurs.

Les commentaires sont fermés.