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28/04/2009

Travail

Les usines ferment. La crise en serait la cause. Si, comme moi, il vous arrive d’entendre des témoignages d’employés licenciés, peut-être aurez-vous remarqué que leur principale récrimination ne porte pas principalement sur les conditions matérielles de leur existence future, même si elles comptent, non, ce qu’ils réclament par dessus tout, c’est une place dans la société, une utilité, une raison d’être. Toutes choses qui, pour eux, tiennent manifestement au fait d’avoir ou non un travail. Cette conception du travail, directement héritée de notre passé chrétien, mais aussi révolutionnaire, est, pour certains, dont je suis, la raison même du malheur des employés et des ouvriers. J’en entendais un, ce jourd’hui, se plaindre du fait que nous marcherions sur la tête. Lui-même parlait de l’étrangeté d’un monde où une minorité, les riches, les puissants, disposent à leur guise de la force de travail du plus grand nombre. Je pense avec lui que nous sommes cul par dessus tête. Mais, quant à moi, je le pense en raison du fait que les ouvriers font la queue pour une place à l’usine, un emploi de forçat, une volontaire torture, un avilissement consenti. Nous sommes à l’envers parce qu’en toute logique, ce sont les patrons qui devraient nous supplier de consentir à sacrifier notre vie et notre liberté pour travailler durement dans leurs ateliers pour un salaire qui ne pourra jamais compenser ce renoncement.

Je vous livre ici un texte de Paul Lafargue, propre gendre de Karl Marx, écrit en 1883 (il est bien écrit 1883), qui vous montrera que je ne suis pas le seul à penser ainsi que je le fais et que mes idées ne sont en rien neuves.

«.....Douze heures de travail par jour, voilà l'idéal des philanthropes et des moralistes du dix-huitième siècle. Que nous avons dépassé ce nec plus ultra! Les ateliers modernes sont devenus des maisons idéales de correction, où l'on incarcère les masses ouvrières, où l'on condamne aux travail forcé pendant 12 et 14 heures, non seulement les hommes, mais les femmes et les enfants! Et dire que les fils des héros de la Terreur se sont laissés dégrader par la religion du travail au point d'accepter, après 1848, comme une conquête révolutionnaire, la loi qui limitait à douze heures le travail dans les fabriques; ils proclamaient, comme un principe révolutionnaire le Droit au travail. Honte au prolétariat français! Des esclaves seuls eussent été capables d'une telle bassesse. Il faudrait vingt ans de civilisation capitaliste à un Grec des temps antiques pour concevoir un tel avilissement.

Et si les douleurs du travail forcé, si les tortures de la faim se sont abattues sur le prolétariat, plus nombreuses que les sauterelles de la Bible, c'est lui qui les a appelées.

Ce travail, qu'en juin 1848 les ouvriers réclamaient les armes à la main, ils l'ont imposé à leurs familles; ils ont livré, aux barons de l'industrie, leurs femmes et leurs enfants. De leurs propres mains, ils ont démoli leur foyer domestique, de leurs propres mains ils ont tari le lait de leurs femmes: les malheureuses, enceintes et allaitant leurs bébés, ont dû  aller dans les mines et les manufactures tendre l'échine et épuiser leurs nerfs ; de leurs propres mains, ils ont brisé la vie et la vigueur de leurs enfants. Honte aux prolétaires! Où sont ces commères dont parlent nos fabliaux et nos vieux contes, hardies aux propos, franches de la gueule, amantes de la dive bouteille? Où sont ces luronnes, toujours trottant, toujours cuisinant, toujours courant, toujours semant la vie, en engendrant la joie, enfantant sans douleurs des petits sains et vigoureux? Nous avons aujourd'hui les filles et les femmes de fabrique, chétives fleurs aux pâles couleurs, au sang sans rutilance, à l'estomac délabré,aux membres alanguis! Elles n'ont jamais connu le plaisir robuste et ne sauraient raconter gaillardement comment l'on cassa leur coquille! Et les enfants? Douze heures de travail aux enfants! Ô misère! Mais tous les Jules Simon de l'Académie des sciences morales et politiques, tous les Germinys de la jésuiterie, n'auraient pu inventer un vice plus abrutissant pour l'intelligence des enfants, plus corrupteur de leurs instincts, plus destructeur de leur organisme, que le travail dans l'atmosphère viciée de l'atelier capitaliste.»




Le Droit à la paresse (Réfutation du «Droit au travail» de 1848), Paul Lafargue, 1883, éditions «Le temps des Cerises», pages 50,51.

Commentaires

Merci de faire remonter ce texte, Pascal.

Écrit par : Michèle Pambrun | 24/11/2009

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